lundi 21 décembre 2015

Sur la sensation


« Nous venons au monde avec une grandeur, 
une plénitude, une surabondance. »
Luis Ansa







Le recours à la sensation et à l’éveil sensitif du corps est fréquent dans la plupart des voies spirituelles — que ce soit dans l'hindouisme, dans l'hermétisme chrétien ou dans les différents chamanismes qui existent — mais Luis Ansa en a fait un des éléments fondamentaux de la voie du Sentir. L’éveil de la sensation permet ainsi d’amorcer une relation d’amour avec le corps et de pouvoir peu à peu « s’habiter ».

« Je vais vous donner un exemple très simple de ce qu’est la voie du sentir : en ce moment, je sens ma main. Vous pouvez faire pareil.
Je ne pense pas ma main, je la sens. Là, c’est binaire : je la sens ou je ne la sens pas. En cet instant, la sensation que j’ai de ma main est beaucoup plus réelle que toutes les pensées que je peux avoir sur elle. Vous comprenez ?
L’être que je suis ne se trouve donc pas localisé dans mon cœur, ma rate ou mon cerveau, l’être est où il y a conscience d’être.
Et je ne fais pas cela pour obtenir quelque chose, je le fais pour occuper mon état d’être. Parce que j’ai un être et vous aussi, vous avez un être. Mais il se peut que votre être soit désoccupé de vous, qu’il soit vide. Votre être est là, en vous, habitez-le ! Ne le laissez pas vacant.
J’ai un nom, une carte d’identité, oui, mais qui occupe mon être à l’intérieur ? Qui ? Si on me dit quelque chose de désagréable, je me fâche ; si on me flatte, je gonfle comme un crapaud. Je n’existe pas, je ne suis qu’une marionnette actionnée par les impacts extérieurs. »


La voie du Sentir est une invitation à revenir à l’être et si la sensation est un élément particulièrement important, c’est aussi parce que la sensation nous est familière.
La sensation n’est pas quelque chose de magique ou d’extraordinaire. Elle n’est pas un objet extérieur qui pourrait se transmettre d’une personne à l’autre ou que l’on pourrait acquérir. On n’a pas besoin d’être initié à « l’éveil de la sensation » que ce soit dans une relation individuelle ou dans un groupe comme certaines personnes essayent parfois de le faire croire. La sensation, c’est notre propre senti. Tout le monde l’a déjà. Tout le monde peut l’expérimenter spontanément.
C’est pour cette raison que la sensation est utilisée dans de nombreuses voies spirituelles car elle est un point d’appui que tout le monde connaît. En mettant notre attention sur la sensation, elle nous amène directement à la présence. Et c’est à partir de notre présence sensitive éveillée que l’on va pouvoir observer toutes nos identifications et tous nos conditionnements afin de s’en libérer.
L’éveil de la sensation est une pratique constante dans la voie du Sentir, comme Luis en témoignait.

« Je suis dans le sentir 24 heures sur 24. Je rentre à la maison, ma femme me parle, je suis dans le sentir. Je touche un chat, je suis dans le sentir. Je vais me faire un œuf au plat dans la cuisine, je suis dans le sentir. Je vais me laver, je suis dans le sentir.
C’est à partir de là que je suis inébranlable. Parce que le sentir ne projette pas. Il ne se préoccupe de rien, réussir ou ne pas réussir ne le concerne pas.
(…) Si je ne suis pas dans le sentir, si la sensation n’est pas éveillée en moi, je suis en manque. Mais je suis en manque de quoi ? En manque d’ancrage, en manque de terre.
Dans cet ancrage, je ne suis plus une marionnette parce que dans le sentir, je ne projette pas. Ma sensation étant éveillé, je ne me préoccupe pas de savoir si je vais réussir ou pas, le sentir se contrefout de réussir. »

La pratique de la sensation est discrète. Lorsque quelqu’un éveille sensitivement son corps, cela ne se remarque pas spécialement.
C’est pour cette raison que Luis Ansa appelait cette pratique « l’art du secret ». Parce qu’elle se fait dans le secret de soi-même et non pas de façon ostensible.
« L’art du secret » n’a bien sûr rien à voir avec l’idée que la voie du Sentir devrait rester secrète ou réservée à quelques personnes seulement. Il n’y a que la personnalité qui pourrait avoir une pareille idée.
Durant les dernières années de sa vie, Luis Ansa n’a eu de cesse de vouloir faire connaître cette voie et ses pratiques.