samedi 23 mai 2015

Extrait du chapitre 12 : 
« Luis Ansa, la voie du Sentir », Editions du Relié, 2015






Chapitre XII
Devenir creux 
et se nourrir d’impressions






Nous étions environ une dizaine de personnes, à Paris, qui tentaient de mettre en pratique les propositions de Luis Ansa.
Ce jour-là, Luis nous avait proposé de venir à l’atelier à partir de dix-neuf heures. Quand nous arrivâmes, il était dans la cuisine en train de surveiller une énorme marmite d’où s’échappait un fumet particulièrement goûteux. « Ragoût d’agneau aux pommes », nous annonça-t-il.
Luis nous préparait souvent à manger, ce qui provoquait à chaque fois une véritable euphorie dans notre petit groupe car c’était un cuisinier hors pair.
Il embrassa chaleureusement chacun d’entre nous devant les fourneaux de la cuisinière, tout en soulevant régulièrement le couvercle du plat pour lancer une pleine poignée d’épices dans le bouillon. Au bout de quelques minutes, après l’avoir goûté une dernière fois, il nous annonça qu’on pouvait mettre la table.
Nous avions amené du vin, des fruits, des gâteaux, de l’alcool de prune, des chocolats… Ce fut un festin.
Avec le café Luis prit la parole.
— Nous vivons dans un monde d’énergies mais nous oublions que ces énergies n’ont pas de religion, ni de système philosophique, ni de croyances particulières, elles sont neutres.
On appelle « négatif », ce qui est en dysharmonie par rapport à une situation donnée mais l’énergie en soi n’est pas négative ou positive. Le négatif n’existe que par rapport à l’être humain parce que le négatif par rapport au cosmos, cela n’existe pas.
Lorsque l’énergie qui vient de l’univers entre dans l’atmosphère terrestre et humaine, elle se divise en deux forces que nous appelons, nous, le bien et le mal. Mais l’énergie du bien et l’énergie du mal viennent d’une même et unique force qui s’est divisée en deux formes.
Du point de vue de l’équilibre psychique et émotionnel du corps humain, on peut donc dire qu’il y a des choses qui sont positives et d’autres qui sont négatives mais l’énergie est une.
C’est en fait la mauvaise gestion des énergies dans notre vie quotidienne qui nous asservit.
Et cette mauvaise gestion résulte d’une cause essentielle : l’être humain est trop pressé, trop tendu vers un but : réussir ! Et pour réussir, il est guidé par une seule force, toujours la même, une force convexe.
Cette convexité obéit à une loi nécessaire à la nature et qui appartient au domaine de l’ampleur de la vie. Elle a permis à l’être humain de se développer, de conquérir la matière, les espaces, de découvrir le feu, l’architec­ture, de créer des cités, des avions, tout ce que nous avons. Cette force convexe est une force d’expansion.
Mais du coup, l’être humain mange d’une façon convexe, prie d’une façon convexe, étudie d’une façon convexe. Autrement dit, il vit d’une façon convexe, c’est-à-dire d’une façon toujours pénétrante, masculine, et jamais « captante », jamais féminine.
Les religions sont convexes, elles suivent ce principe d’expansion, elles posent des interdits, des dogmes, des récompenses, des châtiments… Il faut convertir, il faut convaincre l’autre.
Dans le monde convexe, je suis tout le temps en train de me justifier. Je me justifie vis-à-vis de moi-même, vis-à-vis de l’autre, vis-à-vis du « qu’en dira-t-on ». Comme mes actes obéissent à un désir de succès, je ne veux pas être considéré comme un raté car dans le monde convexe dans lequel je vis, les ratés sont éliminés.
Je suis constamment à l’affût de nouveautés, de sensationnalisme, c’est ce qui attire l’avidité dans laquelle la convexité se répand. Lorsque je suis irrité, susceptible, jaloux, je deviens convexe.
Le mental fonctionne bien sûr de façon convexe. Il faut toujours qu’il comprenne, qu’il pénètre tout ce qu’il touche avec la lumière de la raison, de la logique, de la loi de cause à effet. Une pensée convexe, c’est toujours : « j’espère, j’attends, je veux ».
Le monde de la convexité, dans lequel vous avez des certitudes, des nécessités de succès, de reconnaissance, d’amour-propre, vous amène ainsi très vite à la souffrance. Et votre vie devient le mur des lamentations.
Nous ne sommes pas des capteurs, nous sommes uniquement des émetteurs, des émetteurs de nos opinions, de nos caprices, de notre propre paranoïa obsessionnelle. Et tout cela donne des excuses à un personnage, à un moi, qui s’approprie ma vie et la dirige.
(...)

© 2015 Editions du Relié